t'en as déjà marre. tu ne pouvais pas plus mal tomber. non mais sérieusement, coincé avec serra di cesare à qui tu rêves de rouler des pelles mais que tu dois maltraiter (pour le principe) en public, et anna parisis, cette garce que tu détestes ? quant aux autres, tu n'y prêtes même pas attention. assis sur le comptoir du bar (t'es chez toi, tu prends tes aises), tu tentes en vain d'envoyer un sms à n'importe qui pour passer le temps, mais la phrase "RÉSEAU MOBILE INTROUVABLE" ne cesse d'apparaître sur ton écran, ce qui te fait rager encore plus. il va falloir que ça s'arrête cette connerie de tempête (ça fait du bruit, ça fait peur, mais surtout ça te gonfle), sinon tu vas te défouler sur n'importe qui. y a même une chance que ça tombe sur serra ou anna. et puis t'as pas envie de blesser serra. mais vaut mieux pas qu'elle t'adresse la parole non plus, on sait jamais. tu capitules et abats ton téléphone sur le comptoir à côté de toi, avant de fixer les gens les uns après les autres pour voir ce qu'ils font. y compris ce jozsef, histoire d'être sûr qu'il ne s'approche pas trop près de serra.

ça fait un capharnaüm monstre. le vent, la pluie, les éclairs. c'est une grosse tempête et t'es pas vraiment rassurée. alors t'es assise contre le mur, dans un coin, les bras autour des genoux et la tête entre ta poitrine et tes jambes. tu préfères ne pas regarder ailleurs. t'es enfermée avec Guiseppe et un tas d'autres personnes. t'aimerais aller le voir, qu'il te prenne dans ses bras mais ça, c'est juste impensable, impossible. alors tu restes dans ton coin, et tu ne relève la tête que lorsque Guiseppe laisse tomber son portable contre le bar. tu le regardes, sans vraiment savoir ce que t'es censée faire. tu regardes autour de toi, certains sont plus détendus que toi (et c'est pas très difficile), certains ont visiblement peur, comme toi. et Guiseppe, lui, il a l'air agacé.

Tu es plantée là. Désemparée. Tu te sens inutile. Tu es énervée. Parce que tu sais que tu vas pouvoir observer Guiseppe, toute la soirée, toute la nuit. Tu vas pouvoir constater à quel point vos vies sont différentes. Alors que pourtant. Vous provenez du même sang. Lui, sa cuillère en or dans la bouche. Toi, la gamine perdue, la campagnarde réduite à devenir femme de ménage, sans force, ni courage pour oser affronter son paternel. Frapper contre la porte de ce bureau. Silencieuse. Tu décides de te rendre derrière le comptoir. Tu t'en moques des règles, tu as soif. Tu n'as pas envie d'obéir. Pas ce soir. L'obscurité va modifier vos comportements, tu le sais. Alors pourquoi se mentir ? Tu attrapes un verre, te sers de l'eau, l'avale cul sec. Tu ne quittes pas du regard Guiseppe. Il t'intrigue. Tu as tant de questions dans la tête. Tant. Mais retiens-toi. Ce n'est pas le moment. Pas encore. Mais quand ?

Assis raide sur son siège, József faisait son possible pour paraître calme et posé, malgré la peur et la crainte qui commençaient à le ronger. Dès qu’il avait entendu que les portes avaient été bloquées du fait de la tempête, son corps entier s’était raidi. Pour combien de temps ? N’y avait-il véritablement aucun moyen de s’e aller ? Pour József, il n’y avait rien de pire que de se retrouver enfermé, contre son gré, et sans médicaments… surtout quand la situation était stressante. Son regard fit le tour de la pièce. Quelques faces familières, mais aucune amicale – Aurora n’était pas là. Mais son fiancé, si… De quoi le tendre encore un peu plus.

Ta chambre, ta chambre, il faut que tu rejoignes ta chambre !

Emese, la voix dans sa tête, paniquait elle-aussi. Peur que quelque chose se casse, qu’une digue ne se brise. Que József ne fasse une bêtise, comme il en faisait tant quand il perdait contrôle de ses sentiments.

Mais, il semblait que retourner à sa chambre se bourrer de pilules n’était pas possible. Alors, il lui restait une solution : se bourrer d’alcool, suffisamment pour inhiber toutes ses envies. József se déplaça donc vers la demoiselle s’étant déplacé derrière le comptoir et d’une voix calme, lui adressa quelques mots. « Mademoiselle – tant que vous y êtes, pouvez-vous me passer la bouteille de bourbon qui se trouve là ? » Et il pointa du doigt l’arrière du comptoir. Personne ne semblait faire le service, alors autant se servir seul…

tu regardes anna passer derrière le bar en te retenant de faire la moindre réflexion désobligeante. c'est difficile d'ailleurs, parce que toutes les occasions sont bonnes pour la tacler. d'ailleurs, malgré ta (faible) détermination, tu ne peux t'empêcher de lancer quand jozsef lui demande de lui passer le bourbon : j'espère que t'es meilleure serveuse que femme de ménage, parisis. tu hausses un sourcil provocateur et esquisses un sourire détestable. t'es fier de ton tempérament de connard, en apparence. à l'intérieur, tu te détestes chaque fois un peu plus. tu sautes du comptoir souplement et passes derrière le bar à ton tour, non sans jeter un regard en biais à serra. tu attrapes un verre, sers une limonade (que tu penses être la boisson préférée de ta petite amie, recroquevillée dans un coin comme un chiot pris au piège) et t'approches d'elle pour lui tendre. chiale pas, on va survivre t'sais. on est sûr une île, c'est normal qu'il y ait des tempêtes. t'es désolé de devoir lui parler comme ça, mais c'est la vie; elle comprendra que tu réagisses comme ça. c'est la seule manière pour toi d'intéragir avec elle sans attirer les soupçons. tu retournes derrière le bar pour te servir une vodka pure. il te faudra au moins ça pour passer le temps, et ne pas céder à la crise de nerfs avec cette bande d'idiots que, même dans le noir, tu ne peux pas voir en peinture. allez-y hein, servez-vous, c'est ma tournée. et les autres aussi. j'me sens d'humeur … généreuse. tu lances, ironique, en levant ton verre. vous risquez de rester ici un moment, ça risque de couler à flot. heureusement, tu n'es pas à quelques bouteilles près. par contre, parisis et di cesare, vous vous occuperez du nettoyage du vomi. tu conclus avant de te refermer sur toi même, accoudé seul à ta table, les yeux azur noircis par les ténèbres rivés vers ton verre.