elle court sur le tapis roulant depuis pratiquement une heure. 540 calories de brûlées. que ça. rien que ça. elle fronce les sourcils. elle a trop mangé aujourd'hui. faut se débarasser de tout ça. se désintoxiquer, se purifier. pour rester fine comme un rayon de lune. dans ses oreilles, le beat techno des chansons résonne. elle a le souffle court, la gamine. encore quelques minutes encore, pour se rendre à 60:00 sur l'écran. devant elle, la baie vitrée lui dévoile les lumières de la ville, les lumières du ciel, les étoiles. elle se mord la lèvre. que quelques secondes, ça y est.
elle lâche tout.
elle ne court plus, mais elle poursuit tout de même son souffle.
elle s'écrase au sol, devant l'appareil.
on dirait qu'au bord de ses yeux amande, y'a de petites perles salines.
tu pleures, nana ?
tu te dégoûtes, nana ?
arrête de manger, nana.

ces derniers temps, t'avais la tête à tout sauf au sport. sauf que l'été approche, et que si tu veux avoir la moindre chance de serrer les touristes de passage, il va falloir faire des efforts. ce n'est pas comme si serra montrait un intérêt particulier aux joies de la chair; mieux vaut assurer ses arrières. heureusement la pièce est plutôt déserte quand tu entres : tu as horreur d'être distrait. pourtant, bien vite, ton regard azuré se pose sur une silhouette féminine au sol et tu arraches tes écouteurs de tes oreilles pour te précipiter vers elle. hé, est-ce que ça va ? tu t'es fait mal ? tu demandes en t'accroupissant devant elle pour t'assurer qu'elle est bien vivante. de fines larmes coulent au coin de son regard surprenant. cette fille-là, tu ne l'as jamais vue. tu te souviendrais d'une beauté si particulière, et pourtant tu en as vu défiler des filles en vingt-trois ans entre les murs de la villa medicis. j'ai toujours dit que le sport c'était dangereux et mauvais à la santé. tu lâchesd'une voix ironique dans l'espoir de lui remonter un peu le moral. Doucement, tu attrapes ses coudes et l'aides à se hisser sur ses genoux. c'est  bien grâce à serra que tu as appris à montrer aux femmes un peu de tendresse et de bienveillance, toi qui jusqu'alors ne leur donnait pas plus de considération qu'à des objets. tu prenais, tu utilisais, tu jetais, point final. quelques semaines plus tôt, tu aurais même pu monter sur l'un de ces tapis de course sans lui accorder d'attention. t'es tombée?  t'as qu'à pas être aussi niaille, tu aurais même répondu si elle t'avait fait la moindre remarque. paradoxalement, tu n'aimes pas beaucoup ce que tu es en train de devenir. un leader n'a pas à être gentil avec les gens. qu'est-ce qu'il s'est passé, petit malaise ? il faut penser à manger des fois, tu es toute pâle. tu fais remarquer en l'observant d'un oeil curieux.